Lumières d’été

 

La mémoire d’Hiroshima et ses survivants par le biais d’une fiction où s’invite la thématique du surnaturel, et ses fantômes chers à la culture japonaise. Autour d’un cinéaste Japonais bouleversé par les témoignages des survivants, et sa rencontre fortuite d’une étrange jeune femme dans un parc… poids du passé et présent se bousculent et cohabitent, pour une superbe invitation, à « revivre » au monde…

Le cinéaste français documentariste et auteur depuis les années 2000 de plusieurs courts métrages remarqués dans les festivals internationaux, s’essaie, pour son second long métrage, après Une Jeunesse Allemande (2015 ), pour la première fois à la fiction. Jean -Gabriel Périot y a beaucoup exploré l’histoire et les traces laissées dans les mémoires des bouleversements créés par les événements douloureux de l’histoire. Parmi ces derniers, liés à son séjour à Hiroshima et à son travail de recherche pour son court métrage 200 000 fantômes qu’il réalise en 2007, un sorte de « lien » intime s’est crée avec cette ville martyre dans laquelle il se rend régulièrement. Le film Lumières d’été, est le résultat de ce besoin d’en prolonger la relation, en racontant le ressenti d’une interrogation « comment l’histoire du bombardement continue à avoir un impact sur le présent ». Abordé avec un regard et une perspective nouvelle qui, tout en gardant le devoir de mémoire, puisse laisser place à une forme d’optimisme dont un de ses courts métrages, Le jour a vaincu la nuit (2013), se faisait déjà l’écho révélateur. Celui d’une nécessité de refaire surface et pouvoir illuminer le présent, en restant accompagné du souvenir des morts …

Comme l’illustre la magnifique séquence de la fête annuelle d’Obon, célébrée à la mi-Août, où la tradition culturelle Japonaise veut que les fantômes fassent partie de la vie quotidienne. Ces derniers viennent rejoindre leur famille lors d’une soirée festive pour passer quelques moments avec eux. Séquence à laquelle, le regard et l’interrogation de l’enfant surpris au petit matin, exprimant le regret de l’absence de ceux qui l’ont illuminée, apporte la note émouvante. Celle d’un souvenir joyeux d’une présence qui va rester imprégnée dans sa mémoire et ne le quittera plus. Magnifique récit d’apprentissage et leçon de vie « C’est un moment toujours joyeux, les fantômes ne sont porteurs d’aucune complainte. Et partout au Japon, dans les villages et les quartiers, des fêtes sont organisées pour que vivants et morts dansent ensemble… », explique le cinéaste qui en fait – avec d’autres – une des scènes emblématiques de sa fiction. Destiné à faire miroir et écho au réalisme documentaire sur lequel s’ouvre film, précédé de la projection -bienvenue- de son court métrage 200 000 fantômes (2007). Superbe montage en dix minutes de photos et documents d’archives (accompagné par la musique et la complainte déchirante, signée Larkspur et Lazarus, du groupe : Current 93), sur l’état des lieux et la désolation d’Hiroshima après l’explosion, puis sa reconstruction, par étapes, pour un retour à la vie…

Une complainte, à laquelle s’ajoutent les mots et la douleur déchirante de cette femme filmée en plan fixe face caméra pendant de longues minutes, recueillie par le cinéaste Japonais, Akihiro (Hiroto Ogi). Juxtaposition et prolongement entre documentaire et fiction voulue par le cinéaste, et qui fait mouche. Le témoignage bouleversant d’une réalité vécue, insupportable dans l’instant comme dans les séquelles (la maladie de la sœur…). Les mots qui expriment ce que le regard a enregistré sur le vie et reste un cauchemar insupportable. Le cinéaste qui les recueille, et a du mal à s’en remettre, la rencontre de cette femme, Michiko (Akane Tatsukawa) qu’il décide de suivre dans une ballade improvisée faite de rencontres symboliques. L’échappatoire du refuge vécue par ce dernier comme une philosophie de vie, en forme d’exorcisme. « Il était indispensable que ce film soit historiquement juste et qu’il porte une certaine façon de penser et d’agir typiquement japonaise », explique le cinéaste très désireux que son « film ne soit pas ressenti comme celui d ‘un étranger ». A cet effet il s’est attaché à respecter les moindres détails faisant adapter son scénario en japonais, par une amie collaboratrice Japonaise, Yoko Harano ; « il fallait que les dialogues et les actions des personnages soient réellement ancrés dans la culture japonaise. D’ailleurs, nous avons dû faire face à une vraie difficulté : le dialecte de la région de Hiroshima est très prononcé et il fallait que les personnages, comme les comédiens, soient très précis sur ce point-là… »

Un travail remarquable, servi par de magnifiques interprètes, lui offrant cette authenticité du regard qui nous accroche à l’écran sans jamais nous lâcher. A la fois bouleversés et envoûtés par cette capacité à faire - du poids de la tragédie vécue -éclore le courage de l’énergie nécessaire… pour continuer à vivre. C’est un peu son Hiroshima, mon amour après Alain Resnais, que nous offre à son tour Jean-Gabriel Périot. « Cette ville continue de me toucher. C’est à la fois un endroit qui porte encore le poids tragique du bombardement mais qui est aussi très agréable à vivre au quotidien. Hiroshima et Nagasaki sont parmi les villes les plus vivantes du Japon » dit-il. C’est cette de vie là que son film apporte le témoignage. « Une des leçons que j’ai retenues des nombreux témoignages d’hibakusha (les survivants de la bombe atomique), c’est l’obligation qu’ils nous font de faire attention à comment nous menons nos vies. Ils nous enseignent, parce qu’ils ont été confrontés à un des pires drames de l’histoire humaine, que la vie est fragile et qu’il faut donc y faire attention. Ce qu’ils m’ont appris, c’est qu’il y a un temps pour le souvenir et le deuil et un temps pour le retour au réel. La mémoire de l’horreur ne doit pas nous contraindre, elle doit au contraire nous rendre encore plus présents au monde », dit-il dans la « note d’intention » du Dossier de presse du film.

On vous conseille vivement, d’aller à sa découverte…

 

Etienne Ballérini
Ciao viva la culture
17 Août 2017
ciaovivalaculture.com/2017/08/17/cinema-lumieres-dete-de-jean-gabriel-periot/